Informations scientifiques récentes sur la résidence alternee janv 2019 à télécharger au format PDF en cliquant ici, Dr Maurice BERGER
Le 05-01-2019
Ce document est mis à disposition du public dans le cadre de l’article 13 du Code de Déontologie médicale qui donne mission d’information du public. Il ne vise donc en aucune manière à faire immixtion dans la vie familiale de qui que ce soit.
« J’ai effectué de nombreuses recherches et publications sur la question des droits de visites et d’hébergement concernant les enfants petits, en tant que chef de service de pédopsychiatrie, professeur associé de psychopathologie de l’enfant, et j’ai été auditionné à plusieurs reprises sur ce thème par des commissions à l’Assemblée Nationale et au Sénat.
En mai 2013, lors d’un colloque consacré à ce sujet, la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent m’a demandé d’exposer les principales recherches effectuées dans le monde sur la question du droit de garde pour les enfants petits. Et en octobre 2013, la branche française de la WAIMH (Association mondiale de santé mentale du nourrisson) m’a fait la même demande pour un colloque centré sur les enfants de moins de trois ans. Afin de ne pas être trop long, je ne retiens ici que les deux principaux travaux, qui présentent l’intérêt de pas avoir de défaut méthodologique important.
La première étude a été effectuée par Solomon et George (USA) entre 1995 et 1999.
145 enfants âgés de 12 à 20 mois puis revus entre l’âge de 24 à 30 mois.
Comparaison entre trois groupes : parents non séparés (groupe 1), parents séparés sans nuit de l’enfant chez le père (groupe 2), parents séparés avec nuit chez le père (groupe 3). Ceci permet de faire la différence entre ce qui est lié à la séparation parentale et ce qui est lié au mode de garde.
L’étude comprend l’échelle CTS (Straus Conflict Tactics Scale) permettant d’évaluer le niveau de conflictualité parentale.
But : évaluer les effets de nuits passées chez le parent qui n’a pas d’hébergement principal. Ses résultats sont les suivants :
1-1) Entre 12 et 20 mois
Le groupe 3 est celui qui va plus mal et manifeste le plus de signes d’angoisse liée à une insécurité émotionnelle qui se traduit par :
– des moments d’hypervigilance, d’agressivité pendant des jours ou des semaines
– une hypersensibilité à toute séparation potentielle ou réelle avec la mère avec des signes d’angoisse majeurs, des cris, des pleurs, dès qu’elle s’éloigne en changeant de pièce, et un agrippement fréquent
– des nourrissons qui ne vont bien ni au moment des séparations ni au moment des retrouvailles
– et qui ne considèrent pas que leurs parents soient capables de les aider dans ces circonstances
Groupe 1 => 35 % de enfants présentent ces troubles
Groupe 2 => 43 %
Groupe 3 => 66 %
Dans une étude réalisée en 2004 par moi-même, le Professeur A.Ciccone, H.Rottman, N.Guédeney en 2004 concernant les effets éventuels de la résidence alternée sur les enfants de moins de six ans, nous avons retrouvé les mêmes symptômes auxquels s’ajoutaient des troubles du sommeil et des moments de sidération avec un visage figé.
1-2) Les mêmes enfants revus entre 24 et 30 mois
L’évaluation réalisée avec du recul dans ce second temps a montré que les enfants présentaient des signes précurseurs de l’hyperkinésie avec trouble attentionnel.
Groupe 1 et 2 => 27 %
Groupe 3 => 51 %
1-3) Conclusions des auteurs :
Ces résultats sont probablement en lien avec l’angoisse fréquente au moment de la séparation le soir chez beaucoup d’enfants petits ; cette angoisse est augmentée par la difficulté pour un nourrisson de garder de manière durable dans son psychisme l’image du parent qui a l’hébergement principal ; et avec le besoin de continuité.
La ou les nuits passées chez le père n’apportent pas d’avantages concernant la qualité de la relation père/nourrisson.
La conflictualité entre les parents paraît être un facteur important d’insécurité pour l’enfant;
Remarque hors étude de Solomon et George : en 1983, Lamb, psychologue suédois spécialiste de la relation père-bébé montre que dans une situation expérimentale inquiétante (présence d’une personne inconnue), les enfants suédois âgés de 8 à 16 mois vivant avec des parents non divorcés et élevés principalement par leur père, souvent du fait de la profession de la mère, recherchent prioritairement la sécurité vers leur mère.
2) L’étude la plus importante au monde a été réalisée par McIntosh, Smith, Kelaher
En 2010 : 2059 enfants, 167 pages.
Cette étude concerne des enfants où la résidence alternée est le plus souvent 30%/60% ou 35%/65%.
La méthodologie est impressionnante.
2-1) 3 groupes d’âge :
< 2 ans : 258 enfants
2 à 4 ans : 509 enfants
4 à 5 ans : 1292 enfants
2-2) Dans chaque groupe d’âge
Trois sous-groupes sont étudiés selon les modes d’hébergement
– groupe 1 : famille « intacte »
– groupe 2 : hébergement principal chez un parent :
– groupe 3 : « résidence alternée » = 35 % de nuits à l’extérieur
2-3) Dans chacun de ces groupes, plusieurs items sont étudiés (vigilance au sens de maintien très fréquent du contact visuel avec le parent qui a l’hébergement principal, asthme, hyperactivité, troubles affectifs, problèmes de sommeil), en fonction :
Il a été possible de définir les troubles liés au mode de garde en lui-même.
2-4) Principaux résultats
Pour les enfants de moins de 2 ans
La résidence alternée a un effet indépendant des autres facteurs (conflit entre les parents, catégorie socio-professionnelle) sur la présence et la fréquence de :
troubles du sommeil
pleurs dès que l’enfant est laissé seul pour jouer
pleurs continus, inconsolables pendant de longues minutes
hypervigilance et demande de maintien de contact à proximité
asthme plus fréquent
les enfants en hébergement principal ont le meilleur score pour de tels troubles
il n’y a pas d’incidence sur le développement psychomoteur global. Seule la sphère affective est touchée
Pour les enfants âgés de 2-3 ans
Dans le groupe des enfants en résidence alternée, on observe :
Un plus bas niveau de persévérance dans la pensée et les activités, avec des
signes précurseurs de l’hyperactivité avec troubles attentionnels.
Une plus grande quantité de comportements problématiques (échelle BITSEA). Les enfants présentent plus d’attitudes de détresse lors des échanges et des soins telles que pleurer, se pendre au parent lorsqu’il s’éloigne, avoir un air soucieux, se bourrer de nourriture ou refuser de manger, taper, mordre, ou donner des coups de pieds au parent, ou l’enfant ne réagit pas lorsqu’il se cogne.
Pour les enfants âgés de 4-5 ans
Dans ce groupe d’âge, le trouble attentionnel est à un niveau 0,6 (en score mesuré de 0 à 4) pour un enfant élevé dans une famille « intacte » (groupe 1) ; de 1 en hébergement principal (groupe 2) ; et de 3,5 en résidence alternée 35/65, soit trois fois et demi fois plus que chez les enfants de parents séparés en hébergement principal. Pour l’hyperkinésie, les chiffres sont de 2,4 (groupe 1) ; 2,8 (groupe 2) ; 3,5 (groupe 3). Par la suite, ces difficultés de concentration demeurent constantes chez les enfants du groupe 3 alors qu’elles diminuent dans les autres groupes.
3) Conclusions générales de cette étude :
Des précautions sont nécessaires pour les enfants de moins de 5 ans car les droits d’hébergement concernant la nuit peuvent perturber gravement le développement du jeune enfant.
3-1) Pas de nuits régulières hors du lieu d’hébergement principal avant 2 ans. Pour envisager une séparation nocturne régulière, il faut attendre que l’enfant soit capable de :
comprendre ce qu’on lui dit
pouvoir anticiper et comprendre ce que « demain » veut dire
pouvoir exprimer verbalement ses besoins
Ces conditions ne sont souvent réunies qu’à l’âge de trois ans.
et il faut qu’il existe une communication fluide entre les parents
3-2) Contacts fréquents et signifiants mais progressifs avec l’autre parent
3-3) Le conflit entre les parents a un aspect nocif.
Ces recommandations sont précisées de manière détaillée dans le calendrier aménagé de Brazelton et dans les recommandations cliniques de la branche française de la WAIMH (Déclaration de la WAIMH francophone sur la résidence alternée, site internet WAIMH francophone.
A partir de ces études et de plusieurs travaux présentés lors des colloques scientifiques cités ci-dessus, nos connaissances nous permettent actuellement d’affirmer que les enfants petits ont un besoin très important, essentiel, de disposer d’un lien d’attachement principal continu car c’est ainsi qu’ils se sentent le plus en sécurité. N. Guédeney, pédopsychiatre spécialiste de la clinique de l’attachement chez l’enfant petit, souligne que ceci ne signifie pas qu’un enfant petit aime plus un parent que l’autre mais qu’il se sent plus en sécurité avec l’un, le plus souvent la mère. Et un enfant petit a aussi besoin d’une stabilité des lieux, d’avoir un chez soi garanti. Lorsque ces besoins ne sont pas respectés, l’enfant est soumis à une situation traumatique répétée et le risque est grand qu’apparaissent les symptômes cités ci-dessus : angoisse durable dans toutes les situations de séparation d’avec la mère, troubles du sommeil, sentiment d’insécurité, parfois dépression et hyperkinésie avec trouble attentionnel. Ces troubles peuvent survenir dès que le temps de séparation d’avec la personne la plus sécurisante est dépassé. Le problème principal est que les psychothérapeutes d’enfant (pédopsychiatres et psychologues) ne parviennent pas à traiter ces troubles chez les enfants petits, car non seulement ils persistent tant que le rythme de vie inadéquat est maintenu, mais surtout ils se fixent rapidement et peuvent durer pendant des années, pouvant entrainer des phobies scolaires à l’adolescence, ainsi que des angoisses anormales et des difficultés à établir des relations stables à l’âge adulte.
Ces constatations ont été confirmées dans la seule étude française sur ce sujet réalisée par Eugénie Izard, pédopsychiatre, à partir de 40 enfants (18 lors de la première publication en 2012) vivant en résidence alternée consensuelle, c’est-à-dire avec l’accord des deux parents : les troubles observés sont les mêmes que ceux décrits ci-dessus, confirmant le rôle nocif de la discontinuité des personnes et des lieux chez les enfants de moins de six ans.
C’est pour ces raisons qu’en novembre 2013, une pétition présentée par les Professeurs B. Golse, A. Guédeney, M. Berger, A. Ciccone, et E. Bonneville, E. Izard, J. Phélip a recueilli en deux semaines les signatures de 5400 professionnels de l’enfance dont celle de nombreux Professeurs d’Université. Cette pétition demandait entre autres qu’une progressivité soit respectée dans les contacts avec le parent qui n’a pas l’hébergement principal ».
Dr Maurice BERGER
Ancien chef de service en pédopsychiatrie
Ancien Professeur associé de psychopathologie de l’Enfant
Membre de plusieurs commissions concernant la protection de l’enfance