Novembre 2018
Quand les enfants maltraités sont légalement privés de soins…
Le REPPEA est un réseau de professionnels mobilisés pour la protection des enfants et des adolescents. Ses membres sont fortement préoccupés par l’état actuel de la prise en compte des violences sexuelles, maltraitances et négligences sur les mineurs. De trop nombreuses situations subissent des évaluations totalement arbitraires entrainant des renversements de culpabilité contre les parents protecteurs qui se voient accusés après avoir dénoncé des maltraitances. Les enfant peuvent être alors placés chez l’agresseur ainsi que le confirment les dernières études sérieuses sur le sujet (J. MEIER, J. SIELBERG).
Il est donc de notre devoir d’alerter sur la non-protection de ces mineurs.
Bien que professionnels spécialisés dans les maltraitances, nous sommes en effet trop souvent impuissants à faire reconnaître leur parole. Nous déplorons que les signalements soient si souvent classés sans suite (plus de 90 % des cas), les enfants retournant de force chez le parent agresseur quand leurs révélations ont lieu dans un contexte de séparation parentale.
Pourtant les chiffres sur les violences sexuelles en France sont terrifiants : nous pouvons estimer qu’entre 60 000 et 150 000 mineurs sont victimes de violences sexuelles tous les ans dont une grande majorité n’est pas protégée. Or, les violences sexuelles sur mineurs sont mal prises en compte par notre justice : plus de 95 % des « faits constatés par la police et la gendarmerie » de viol d’un mineur par un majeur n’aboutissent pas à une condamnation (pour ces même faits). Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que seulement 2 à 11 % des victimes portent plainte, et que les études sur le sujet montrent toutes que les fausses allégations d’abus sexuels sont rarissimes, de l’ordre de 1 à 3 % selon les études. Les conséquences gravissimes sur la santé psychique et physique des violences dans l’enfance sont pourtant aujourd’hui bien connues.
En outre, lorsque nous signalons des enfants maltraités nous faisons régulièrement face à des représailles des agresseurs sous la forme de plaintes auprès des institutions ordinales (Conseil de l’Ordre des médecins) ou judiciaires. Nous essuyons régulièrement des procès, sommes parfois condamnés et la plupart en sort épuisée, traumatisée et renonce parfois définitivement à s’occuper d’enfants maltraités. Il faut comprendre que rechercher l’épuisement du professionnel par voie de plaintes judiciaires fait partie des stratégies de protection des agresseurs, qui attaquent pour paralyser les victimes et ceux qui les protègent. Nous n’avons aucune protection réelle face à ces attaques en dépit de la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé. Nous sommes toujours autant poursuivis, mais de manière détournée : non-respect de l’autorité parentale, certificats médicaux, immixtion dans les affaires de famille, diffamation, le résultat étant finalement le même.
Nous avons reçu plusieurs témoignages de professionnels qui ont ainsi tenté de faire protéger des enfants et se sont trouvés poursuivis, avec pour certaines plaintes des demandes de dommages et intérêts de plusieurs dizaines de milliers d’euros, des procédures épuisantes qui durent plusieurs années et toujours un discrédit professionnel difficile à surmonter.
Pire encore, la loi sur “ l’autorité parentale ” qui requiert l’accord des deux parents en matière de soins a été construite sans souci des enfants maltraités. En effet, il est évident que dans ces situations, le parent maltraitant va s’opposer aux thérapies pour son enfant ou tout autre soin au cours duquel l’enfant pourrait le mettre en cause. Et la loi ne définit aucune dérogation claire à “l’autorité parentale partagée” en cas de maltraitances permettant aux professionnels de récolter la parole de l’enfant maltraité et de lui proposer les soins adéquats sans avoir à obtenir l’accord du parent maltraitant. Ceci entrave la liberté de soins des enfants maltraités, droit fondamental de tout citoyen mais dont les enfants maltraités sont privés.
Les écrits ou certificats visant à défendre les droits des enfants sont trop fréquemment retournés contre le médecin sous prétexte que le code de déontologie dispose de ne pas intervenir « dans les affaires de famille » (l’immixtion dans les affaires de famille (1) étant devenu condamnable) et alors même que la protection des enfants victimes de maltraitances, exige de se positionner en faveur de son bien être psychologique et physique. Loin d’être condamnable, l’immixtion devrait alors relever d’un devoir comme le précise d’ailleurs un des articles fondateurs de notre code de déontologie médicale : « sachant que la société a confié au médecin un rôle privilégié : donner des soins aux personnes malades, mais aussi, être le défenseur de leurs droits, des personnes fragiles ou vulnérables (mineurs, majeurs protégés, personnes âgées handicapées ou exclues des soins …), lutter contre les sévices quels qu’ils soient et quelles que soient les circonstances. » (Extrait des commentaires du code de déontologie des médecins, article 2).
Impossibilité de faire suivre un enfant maltraité, interruption brutale des thérapies à la demande du parent incriminé, poursuites judiciaires ou ordinales, peur permanente des représailles, voilà le quotidien des soignants français qui tentent de s’impliquer auprès des enfants maltraités. Il y a une réelle urgence à modifier ces articles afin de permettre aux médecins d’exercer selon les données acquises de la science auprès des enfants concernés, données qui reconnaissent et décrivent les graves dommages occasionnés par les psychotraumatismes et le défaut de leur prise en soins adaptés.
Cette situation ne doit plus durer. Des modifications simples sont en effet possibles (2). Aussi, à l’occasion de cette journée des droits de l’enfant, nous demandons que soient levées ces entraves au respect des droits fondamentaux des enfants maltraités et que soient ré-examinés les textes de loi qui altèrent de façon dramatique la protection des mineurs et l’action des professionnels qui les soutiennent.
Le médecin ne doit pas s’immiscer sans raison professionnelle dans les affaires de famille ni dans la vie privée de ses patients.