Alerte de professionnels au sujet de l’article 18 du projet de loi de réforme justice

Le 29 novembre 2018,

       Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur,

Nous sommes un groupe de professionnels de l’enfance, pédopsychiatres et psychologues, spécialisés dans la protection de l’enfance, et nous nous permettons de vous faire part de notre grande inquiétude concernant l’article 18 présenté dans le cadre de la loi de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice. Cet article, peut-être présenté sous l’influence d’un lobby, a été voté à l’Assemblée Nationale le 23-11-2018 et il est particulièrement dangereux pour les mères et pour les enfants.

Cet article insère dans l’article 373-2 du code civil un 2e alinéa, dont le contenu est le suivant :

 « A titre exceptionnel, à la demande de la personne directement intéressée ou du juge aux affaires familiales, le procureur de la République peut requérir le concours de la force publique pour faire exécuter une décision du juge aux affaires familiales, une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ou une convention homologuée fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale. » .

Cet article ajoute également à l’article 373-2-4 du code civil que :

 « Le juge peut prendre les mesures permettant de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents), y compris assortir toute mesure d’une astreinte ».


« Il peut également, lorsqu’un parent fait délibérément obstacle de façon grave ou renouvelée à l’exécution d’une
décision, d’une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ou d’une convention homologuée fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le condamner au paiement d’une amende civile d’un montant qui ne peut excéder 10 000 €. »

Les dangers sont les suivants :

1) Les conventions de divorce par acte d’avocats n’ont, par définition, fait l’objet d’aucun contrôle du Juge aux Affaires Familiales, dont le rôle est précisément de s’assurer que chaque parent a pleine conscience et a donné son consentement de façon « libre et éclairée » sur les mesures futures d’organisation de vie des enfants.

Comment peut-on imaginer de laisser à un parent le droit de saisir le Procureur de la République, sur la seule base d’une convention entre deux personnes, pour obtenir le concours de la force publique ?

Qui plus est avec pour objectif d’enlever par la force le ou les enfants, du domicile de l’autre parent, ou du lieu où il se trouve, (nourrice, école etc..), avec le traumatisme irrémédiable qui en résultera.

Par ailleurs, lorsque le texte évoque « une convention homologuée », de quoi parle-t-on ? Une homologation judiciaire est forcément assortie de la formule exécutoire. Il n’y a donc pas lieu de s’adresser au Procureur.

En réalité, nous savons que lorsqu’une convention n’est pas appliquée par un parent, c’est le plus souvent parce qu’elle a été signée sous diverses pressions, suite à un rapport de force, ou surtout parce qu’un enfant a formulé des allégations de maltraitances.

Dans ce cas, il est essentiel de permettre à la Justice de suivre son cours, sans qu’un parent puisse court-circuiter la procédure de protection que l’autre souhaite mettre en place, au travers d’une plainte, d’une procédure devant le Juge aux Affaires Familiales, ainsi que devant le Juge des Enfants.

En tant que professionnels de l’enfance expérimentés, nous sommes déjà à l’heure actuelle très inquiets des délais et des conditions dans lesquelles des décisions judiciaires interviennent, quand un enfant révèle subir des abus sexuels ou des maltraitances, ceci ayant souvent été précédé de violences conjugales lorsque les pères sont en cause.

Dans ce cas, l’enfant ne fait concrètement l’objet d’aucune protection judiciaire.

Les mères, dans les situations d’inceste, se trouvent face au choix suivant :

– soit ne pas présenter l’enfant au père qu’il a désigné comme agresseur, et dans ce cas, le père dépose plainte à l’encontre de la mère pour délit de non représentation d’enfant, qui encourt de lourdes sanctions pénales y compris une peine de prison.

-soit laisser l’enfant aller chez le père, alors qu’il a dénoncé des maltraitances de sa part. L’enfant sera alors soumis au minimum à des menaces avec l’interdiction d’en parler, auxquelles s’ajoute naturellement le risque de nouvelles maltraitances.

 

Le juge des affaires familiales est contraint quant à lui, de statuer sur une demande de changement de résidence, ou de modification de droit de visite et d’hébergement, sans avoir à sa disposition les procès- verbaux et enregistrements d’auditions d’enfant réalisés par la police ou la gendarmerie, ni le résultat de la procédure pénale.

 

Une étude récente et précise demandée par le Ministère de la Justice américain[1]  a montré que dans de tels contextes, de nombreux enfants avaient été, par déni de la culpabilité du père, remis en garde chez lui par la justice et soumis à des abus sexuels et/ou des maltraitances pendant une période allant de 4 mois à 9 ans, ces maltraitances n’ayant été judiciairement reconnues qu’après cette durée.

L’article 18, en introduisant la possibilité pour le parent de s’adresser directement au Procureur de la République, pour obtenir la remise d’un tel enfant, au travers de la force publique, constituerait une totale aberration.

Le Procureur n’a pas vocation à agir et interférer dans un contentieux familial, à la demande unilatérale d’un parent, mais de veiller au bon déroulement de l’enquête pénale.

2) De même, on peut se demander pourquoi il serait nécessaire d’ajouter aux textes existants, des mesures coercitives supplémentaires de nature financière, en cas de non -présentation d’enfant.

Depuis la loi coparentalité de 2002[2],  l’article 227-5 du Code Pénal prévoit des peines de prison et d’amende.

Alors que les violences faites aux femmes et les violences sexuelles sont d’actualité, l’article 18 va dans un sens opposé car il contraint les mères à s’épuiser financièrement, (étant ici rappelé pour mémoire que les revenus des pères sont en moyenne nettement supérieurs).

Déjà actuellement, certaines mères qui se sont endettées pour poursuivre les procédures, sont obligées de renoncer à protéger leur enfant. D’autres se retrouvent en garde à vue, traitées comme des délinquantes pour avoir voulu protéger leur enfant d’agressions sexuelles, et sont pénalement condamnées pour n’avoir pas présenté leur enfant.

Alors que 97 % des faits signalés de maltraitances et d’agressions sexuelles se révèlent être authentiques comme le prouvent toutes les études internationales[3] et sont déjà difficilement pris en compte en France (90 % sont classés sans suite), l’article 18 est donc une manière supplémentaire de maintenir femmes et enfants sous l’emprise d’hommes violents contre elles et contre les enfants.

Si un article devait être voté concernant ces circonstances, il devrait porter sur le fait que « les signalements pour maltraitances doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies », ce qui n’est que rarement le cas à l’heure actuelle, et que l’enfant doit être « immédiatement protégé du parent agresseur » comme le recommandent les plus importantes et récentes études américaines en la matière (Silberg[4], Meier[5])

Nous vous demandons donc de vous opposer fermement à cet amendement, dont nous dénonçons la grande dangerosité.

Nous vous prions de croire, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, à nos salutations respectueuses.

 

Maurice BERGER, pédopsychiatre, vice-président du REPPEA

Isabelle BECK, Avocat spécialiste en Droit de la Famille, membre du REPPEA

Eugénie IZARD, pédopsychiatre, Présidente du REPPEA

Jacqueline PHELIP, Présidente de « l’enfant d’abord », membre du REPPEA

Alexandra RHODES, psychologue clinicienne, expert psychologue, trésorière du REPPEA

Hélène ROMANO, Dr en psychologie clinique-HDR, Vice-présidente du REPPEA

                            

[1] Silberg J. 2013, « Crise au tribunal de la famille », résumé dans « Le concept d’aliénation parentale : un concept dangereux » sur mauriceberger.net

[2] « Le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

[3] Le livre blanc sur la protection des enfants maltraités, propositions contre les dysfonctionnements, REPPEA

[4] https://reppea.wordpress.com/les-documents-de-references-sur-le-sap/

[5] Meier, J. (2013, September). Parental Alienation Syndrome and Parental Alienation – A Research Review. https://vawnet.org/sites/default/files/materials/files/2016-09/AR_PASUpdate.pdf